A défaut d'un saphir au doigt...

Ma "vie auditive" a été tout-à-fait normale jusqu'à ce jour de septembre 2007 où j'ai vécu un épisode de surdité brusque, essentiellement à l'oreille gauche. J'avais alors 41 ans. Consultation immédiate chez mon médecin qui me renvoie chez l'ORL local. Après un audiogramme, celui-ci conclu de manière désabusée "bof, ça doit être vasculaire..." et me met sous vasodilatateur. Sans que celui-ci ait eu sûrement le temps d'agir, je me réveille le lendemain matin ayant récupéré toute mon audition. Je perçois cependant un petit sifflement que je n'avais jamais identifié auparavant mais qui, réflexion faite, devait exister déjà depuis un moment. C'est alors que j'ai commencé à perdre de façon inéluctable l'audition du côté...droit !

Pas très convaincu par ma consultation avec le premier ORL, mon médecin m'a dirigé vers un autre, à priori spécialisé dans les acouphènes et chez qui je me suis rendu afin d'obtenir un diagnostic. De contact assez glacial, il m'a balancé une prothèse auditive sur le bureau en me demandant ce que j'en pensais; je l'ai regardé avec des yeux ronds en lui disant: "mais je ne viens pas du tout vous voir pour ça !!" en lui expliquant que je n'étais pas prêt à porter un "sonotone"...ce qu'il a assez mal pris d'ailleurs en me rétorquant: "vous portez bien des lunettes". L'ORL suivante, que j'allais voir pour le coup à cause de ma perte d'audition, ne cessait de me demander au début de chaque consultation: "alors vos acouphènes, comment ça va ?!!". Au final, elle voulait absolument qu'un de ses confrères farfouille dans mon oreille, pour quelle raison, je ne sais pas, toujours est-il que j'ai refusé.

Finalement, c'est fin 2011, de ma propre initiative car ma situation devenait trop difficile, que j'ai consulté un audioprothésiste. Le handicap devenait invalidant sur le plan de la communication car, outre le fait que mon oreille droite soit quasi-sourde, je commençais à perdre à gauche...Il m'a donc proposé un système "bi-cross", comprenant un appareil sur l'oreille droite ne jouant qu'un rôle de micro, relié par Bluetooth à l'appareil controlatéral qui lui, amplifie et corrige certaines fréquences manquantes à l'oreille gauche. Bref, ce système m'a permis "d'équilibrer" un peu mon audition mais ne m'a jamais donné une pleine satisfaction.

Donc, début 2013, je prenais rendez-vous au CHU de Bordeaux avec le Professeur DARROUZET, en quête d'un diagnostic et peut-être d'une option thérapeutique différente. Nous nous sommes rencontrés tous les deux mois, mais j'avais le sentiment d'avoir du mal a être compris. Il essayait des traitements qui restaient sans effet, et à chaque consultation, je le sentais un peu plus ennuyé car il n'avait rien à se mettre sous la dent...

J'avais déjà une petite idée sur la question de l'implant cochléaire (grâce entre-autre au site du CISIC !) et savais que, compte-tenu du type de surdité dont j'étais atteint, à savoir une surdité neurosensorielle (ou surdité de perception), je pouvais être "candidat" à cette chirurgie. J'avais d'ailleurs évoqué le sujet avec lui mais il avait tapé en touche directement, me faisant comprendre que cette question était prématurée. Mon audioprothésiste aura la franchise de m'expliquer que je ne n'étais "pas assez sourd" et ne rentrais pas encore dans les critères autorisant l'implantation.

Le coup de grâce est tombé en juillet de cette même année, quand à la suite de l'exérèse d'un carcinome en cabinet de ville, chez une dermato ayant une idée relativement vague des règles d'asepsie, j'ai attrapé un staphylocoque doré, qui a nécessité une ré-intervention d'urgence et une hospitalisation de 10 jours ! Il se trouve que j'avais rendez-vous avec le Professeur DARROUZET durant ma présence au CHU, et l'audiogramme a été sans appel: une nouvelle chute de l'audition gauche me faisait perdre essentiellement en "discrimination", et me mettait dans une situation sans précédent. Un nouveau rendez-vous était donc prévu en septembre, pour évaluer une éventuelle récupération.

Je suis kiné et travaille avec quatre autres collègues en libéral. Avant l'été, je n'étais déjà pas très à l'aise en situation de "bruits croisés", mais la reprise du travail début septembre avait juste été un enfer. Sollicité toute la journée par les patients, dont certains que je n'arrivais même plus à comprendre en face à face, le téléphone qui devenait une hantise (il m'est arrivé de me faire raccrocher au nez après avoir fait répéter deux fois mon interlocuteur ou de passer le téléphone à un de mes collègue...), je mesurais vraiment la détresse dans laquelle je me retrouvais. Chaque début de journée était une angoisse; quand je regardais mon agenda et que je voyais que telle ou telle patiente avait rendez-vous, je savais qu'il allait falloir ne communiquer que pour l'essentiel...

En fait, je n'ai jamais réussi à gérer ce type de situation; une personne me parle, je ne comprends pas ce qu'elle me dit, je fais tous les efforts du monde pour essayer d'attraper un ou deux mots au vol qui pourraient me sauver et me permettre de rester accroché aux wagons, mais je n'arrive pas à l'arrêter pour lui dire: "vous savez, tout ce que vous me dîtes depuis tout à l'heure, eh bien je n'ai rien compris et je sais à peine de quoi vous parlez"...parce que soit elle va me prendre pour un fou, soit elle va me dire: "mais pourquoi vous ne me l'avez pas dit plus tôt ?!"...alors je fais bonne figure, je suis devenu maître dans l'art de singer (mon interlocuteur termine sa phrase par un sourire alors je souris avec lui) ou d'entrecouper son discours de petites phrases qui ne veulent rien dire et auxquelles on ne peut rien répondre du style: "oui mais en même temps...". C'est vrai, je dois le reconnaître (j'ai l'impression d'être à confesse !), j'ai souvent bluffé parce que "pas envie"...non pas un manque d'envie de faire l'effort, car des efforts on en fait à chaque conversation, on est condamné à déployer une énergie phénoménale à chaque échange autrement, c'est l'isolement...mais surtout pas envie d'expliquer, d'expliquer encore et toujours. Finalement, le comble d'être malentendant c'est de le répéter toute la journée à nos interlocuteurs...j'irais même plus loin, non seulement je suis malentendant mais je passe mon temps à m'excuser d'être malentendant.

Donc lorsque je me suis retrouvé dans le cabinet du Professeur DARROUZET en septembre, je savais que ce rendez-vous était capital, j'avais une telle pression que j'ai craqué, notamment en lui disant que je ne parlais plus avec mon épouse ni avec mes filles...et que la situation était devenue impossible.

C'est alors qu'il a consenti à m'orienter vers le Pr BEBEAR, Chef du Service Implant, que je rencontrais en octobre et qui m'annonçait immédiatement la décision que j'attendais depuis plusieurs mois : "il faut immédiatement implanter à droite !"

A l'évidence, cette annonce a été un soulagement. J'ai eu l'impression que la "parenthèse communicationnelle" que je subissais depuis tant de mois allait enfin se refermer.

L'intervention a donc eu lieu le 10 janvier 2014 et la première activation le 07 février. La première activation... comment raconter cet instant si spécial et sûrement propre à chacun d'entre nous en terme de ressenti...Je pense que j'avais été bien briefé par tout le monde et savais que j'allais "tout entendre mais ne rien comprendre"; c'était le grand dicton du jour ! Comment expliquer ma stupéfaction lorsque j'ai entendu les premiers sons parvenir à mon cerveau ?! J'aurais souhaité être filmé pour voir la tête que je faisais ! J'étais comme pétrifié, bloqué par le stress d'entendre une chose à laquelle je ne m'attendais pas du tout...mais en fait, je ne savais tout simplement pas à quoi m'attendre !

L'audioprothésiste a donné de tous petits coups sur la table avec l'étui de l'implant et j'ai entendu "Boiiing Boiiiing", puis il a pris un trousseau de clefs et les a remué tout doucement, et j'ai entendu à nouveau "Boiiing Boiiiing", et à cet instant, on aurait fait n'importe quel bruit différent, j'aurais entendu "Boiiing Boiiiing"!! J'étais tellement interloqué que j'ai voulu lui dire "mais j'entends toujours le même bruit !" mais à peine j'ai commencé à parler que cela a déclenché un vacarme dans mon cerveau comme si une armoire remplie d'objets métalliques s'était cassée la figure juste à côté de moi ! A cet instant j'étais complètement stressé, je ne savais plus quoi faire !!

Je raconte ces quelques minutes en détail parce que cela me fait rire aujourd'hui et j'ai rapidement réalisé que je n'aurais jamais pu anticiper ce moment-là. Après avoir éteint le processeur, nous en avons parlé et l'orthophoniste présente m'a immédiatement rassuré. Nous avons ensuite procédé aux réglages des graves, des aigües, de la tolérance aux sons forts puis faibles, et finalement, après quelques minutes, l'adaptation commençait à se faire ressentir. Ils ont ensuite laissé le processeur allumé durant nos conversations, mais rapidement, j'ai senti que l'oreille gauche cherchait à compenser le bruit gênant qui arrivait à droite.

Malgré cette nouvelle sensation sonore plutôt désagréable et perturbante du côté de l'implant, je m'obligeais dès les premiers jours à le garder le plus possible. En arrêt de travail et seul à la maison durant la journée, cela me permettait de tester progressivement différents types de sons et me rendais rapidement compte que les bruits aigus comme la vaisselle qui s'entrechoque m'étaient quasiment insupportables.

Les restes auditifs de mon oreille gauche pouvant perturber l'évolution de ma nouvelle audition à droite, je devais impérativement porter un bouchon de ce côté pour travailler l'implant. C'est ce qui s'est passé durant les mois qui ont suivis, que ce soit en séance d'orthophonie ou en travaillant personnellement sur les quelques sites proposant des exercices. Tous les matins, durant 2 heures, je m'installais devant mon ordinateur et stimulais mon oreille droite y compris en écoutant la radio. J'ai en effet trouvé beaucoup de bénéfices à écouter France Info car la répétition des flashs tous les quarts d'heures me permettait d'améliorer ma discrimination. En quelques semaines et au fur et à mesure des réglages, ce qui était de l'ordre de la "gêne" devenait progressivement complémentaire de mon audition naturelle à gauche.

Six mois après la première implantation, je sentais que l'oreille droite avait pris le dessus en terme de volume sonore. Parallèlement, il me semblait que l'appareil auditif que je portais toujours à l'oreille gauche était de moins en moins efficace, mais l'audition résiduelle de ce côté me permettait de garder un repère, un lien avec la réalité du monde sonore environnant.

L'orthophoniste rencontrée lors du bilan des six mois m'avait expliqué que l'oreille droite implantée prenait le quantitatif et l'oreille gauche le qualitatif, car ce sont les sons captés, même de façon incomplète par cette oreille qui se rapprochaient le plus de la réalité.

Cependant, je me posais des questions quant à l'évolution de la discrimination du côté de l'implant. En effet, je ressentais de plus en plus de sensations pouvant s'apparenter à des grésillements impactant directement ma capacité à décrypter la parole, doublé d'une perception de la voix sur plusieurs niveaux, ce que j'appelle "polyphonique". Au lieu d'entendre un son de voix, j'avais l'impression d'entendre une décomposition de ce son, comme si plusieurs personnes ayant des fréquences de voix différentes, disaient la même chose en même temps. Or, plus l'environnement sonore devenait complexe (discuter avec une personne dans un endroit un peu bruyant ou se retrouver à table avec du monde...), plus ce phénomène semblait s'amplifier. A partir de ce moment-là, les réglages suivants ont été effectués avec comme objectif la réduction de cette sensation gênante. J'emploie volontairement le terme de "sensation" avec toute la subjectivité que cela peut comporter car la chose la plus difficile à mon sens après cette première implantation, est d'arriver de savoir où l'on en est quant à la progression. Bien sûr, il y a le repère des séances d'orthophonie et des bilans qui y sont effectués, mais objectivement, les performances auditives dans une pièce calme face à une seule personne et l'environnement sonore complexe auquel nous sommes confrontés tous les jours sont deux choses bien différentes. De même, combien de fois ai-je éprouvé cette difficulté à comprendre un réglage tant les conditions auxquelles nous sommes soumises sont éloignées de notre réalité quotidienne. Donc comment savoir si l'évolution est "normale" ou pas ?...si tant est qu'il y ait une normalité. Bien sûr, nous avons tous une histoire et un profil différent, donc il n'est pas question de comparer l'évolution des uns avec celle des autres. Pourtant, nous y sommes tentés, et souvent, la rencontre avec une autre personne implantée est l'occasion d'échanger sur le vécu respectif de chacun et les questionnements ou les conseils qui vont avec. Nous avons donc besoin de repères pour être rassurés mais ceux-ci sont bien difficiles à objectiver.

En février 2015, j'envoyais mon processeur chez Neurelec pour la première révision, en espérant qu'une cause technique soit diagnostiquée. Cet espoir était conforté par un petit questionnaire à remplir à propos d'éventuels problèmes rencontrés, et comportant une case "grésillements"...donc je n'étais pas le premier. Mais je me suis rapidement rendu compte que la situation n'était pas bien différente avec le processeur de prêt , et ceci fut confirmé un mois plus tard par le document qui accompagnait le retour de mon appareil, et qui écartait toute défaillance technique de celui-ci.

Dans le même temps, mon orthophoniste ayant fait, suite à mes remarques, un bilan de l'oreille gauche, m'annonçait que si celle-ci était implantée, mon audition dépasserait les performances actuelles. Je me préparais donc à cette éventualité qui devint réalité le jour de mon rendez-vous avec le Professeur Bébéar : "Je vous opère quand vous voulez".

Dès mon premier entretien avec lui en 2013, il m'avait dit déjà signifié que je serai sans aucun doute candidat pour le côté gauche également. Je ressentais comme un mélange d'excitation et d'appréhension de perdre mon dernier lien avec la réalité, mais je savais que cela ne pourrait qu'améliorer la situation.

L'intervention étant prévue pour juin, j'arrêtais les séances d'orthophonie durant quelques mois. Je dois ajouter à ce titre que la qualité des séances d'orthophonie joue sans aucun doute un rôle important. J'ai eu la chance d'être suivi par une orthophoniste impliquée dans le service Implant du CHU de Bordeaux, donc tout-à-fait spécialisée sur la question. Outre sa capacité à ajuster la rééducation en fonction de l'évolution de mon audition, sa connaissance de l'implant me permettait d'avoir avec elle des échanges parfois techniques et des réponses précises à mes questions. Pour tout cela, merci Amélie !

Les orthophonistes à l'hôpital représentent à l'évidence un maillon essentiel dont les services et les patients ne peuvent se passer, or aujourd'hui, il faut préciser que leurs conditions de travail y compris sur le plan salarial ne motivent pas du tout les nouvelles générations à s'impliquer dans ce sens, il faut donc les soutenir !

J'attendais donc cette seconde intervention avec impatience, ayant désormais enlevé mon appareil auditif gauche qui ne m'était plus d'aucune utilité. Je repassais sur le billard le 11 juin 2015, vivant des suites opératoires aussi étonnamment simples que pour la première intervention. La seule différence fût les vertiges ressentis la semaine qui suivit et qui m'obligeaient à rester très calme. Ayant maintenant l'oreille gauche totalement sourde, je me rendais vraiment compte des difficultés de discrimination que je pouvais éprouver avec l'implant droit du fait de ces "grésillements". Je consacrais alors ce mois d'attente avant l'activation du nouvel implant, à travailler le premier pour essayer de progresser au maximum. Depuis plusieurs mois, grâce notamment à mon implication au sein du CISIC, je rencontrais des personnes bi-implantées qui évoquaient la joie du retour à la binauralité. Secrètement, mon grand espoir était de pouvoir recommencer un jour à écouter (et apprécier !) de la musique...Ceci était devenu totalement impossible du fait de ma perte d'audition d'une part, et surtout parce que je n'entendais plus les notes justes. J'étais victime de ce que mon audioprothésistes avait appelé le syndrome du "glissement de clavier", rendant l'écoute vraiment insupportable. L'exemple de Véronique, avec qui j'avais beaucoup correspondu avant ma première implantation, me motivait grandement. Suite à une maladie de Ménière, elle s'était faite également implantée des deux côtés avec un an d'écart. Musicienne avertie, elle avait bien sûr totalement abandonné la musique avant ses implantations. Puis après le second implant, elle a progressivement repris et retrouvé du plaisir. Recommencer à prendre tout simplement du plaisir...est-ce que la vraie motivation n'était pas là ?

Les quatre premiers réglages de l'implant gauche étaient prévus à une semaine d'intervalle en juillet et les séances d'orthophonie devaient reprendre simultanément. Finalement, dès le second réglage, l'audioprothésiste passait plus de temps sur l'implant droit que sur le gauche. En effet, l'évolution de celui-ci était fulgurante puisque qu'environ dix jours après son activation, j'écoutais France Info sans grande difficultés avec cet implant seul. Bien sûr, si la discrimination évoluait rapidement de ce côté, les voix étaient encore très synthétiques et métalliques, et la gêne éprouvée du côté droit devenait finalement pénalisante quant à ma perception auditive globale. Contre toute attente, je me retrouvais entravé par ce premier implant. De plus, les différentes stratégies tentées par l'audioprothésiste n'améliorant pas la situation, je commençais à me poser des questions sur l'intégrité de la partie implantée puisque d'après Neurelec, le processeur n'était pas incriminé.

Au mois d'août, nous partions en vacances et je me surprenais régulièrement à couper mon implant droit, notamment en voiture car incapable de rouler la fenêtre un peu ouverte ou dans des endroits sonores (marchés, manifestations de foule ou même repas à plusieurs personnes...) car je supportais de plus en plus mal des fréquences aigues.

Bref, moi qui avait attendu ce moment avec impatience, j'oscillais entre frustration et désillusion, et sur ce plan, l'été 2015 fût un calvaire.

Dès la fin du mois de juillet, après les quatre premiers réglages de l'implant gauche, j'avais évoqué avec mes différents interlocuteurs du service Implant, la possibilité de rencontrer un ingénieur (support clinique) de chez Neurelec car je ne pouvais rester dans cette situation. L'objectif de la demande était de tester la partie implantée d'une part, et de faire le point sur le problème du réglage d'autre part. Par chance rendez-vous était pris pour début septembre.

L'entretien dura plus d'une heure, ce qui m'avait laissé le temps d'expliquer mon ressenti et de répondre à ses nombreuses questions. Le test de la partie implantée ne révélait rien d'anormal, par contre, les changements au niveau des réglages à droite comme à gauche furent nombreux. Il n'est pas question d'incriminer ici le travail effectué par l'audioprothésiste du service qui a fait, j'en suis convaincu, tout ce qu'il pouvait pour améliorer la situation. Mais ce jour-là, j'avais l'impression d'avoir en face de moi quelqu'un qui parvenait à traduire en réglages techniques les sensations et le vécu que je lui relatais. Ce ne fût pas un miracle mais manifestement, quelque chose avait changé et ma perception du côté droit me semblait moins impactée par ce phénomène de "grésillement" (que lui qualifiera plus d'écho). A la sortie de ce rendez-vous, le mot d'ordre était : "On ne touche plus à rien pendant trois mois". En effet, il fallait maintenant laisser le temps au cerveau de s'habituer à ces nouvelles modifications. Or, il avait été soumis à de nombreux changements et le cortex cérébral est un organe qui a besoin de stabilité quant aux types de stimuli qui lui sont envoyés.

Nous nous sommes donc revus début décembre, et je reconnaissais une certaine amélioration, notamment dans ma capacité à supporter certains bruits forts ou aigus et dans la sensation de grésillements. En contexte calme, j'étais désormais à l'aise avec n'importe quel interlocuteur, mais les difficultés pouvaient persister dès que l'environnement sonore devenait complexe. Malgré cela, je continuais à décrire une perception des voix "polyphonique". Je décrivais cela comme une cible au centre de laquelle se trouverais la voix originale de la personne, entourée par des déclinaisons sur plusieurs fréquences de cette voix. Quoi qu'il en soit, les changements apportés aux réglages de septembre ont été très légers, de façon à créer une continuité sans perturber les nouvelles acquisitions.

Il m'avait donné cinq mois au mieux avant de nous revoir, avec comme objectif de progresser sur les programmes mémorisés sur le processeur. Nous nous sommes revus à deux reprises dans l'année qui a suivi, confirmant ainsi les progrès effectués. Cependant, à l'occasion d'un rendez-vous conjoint avec Romain Cardot, le support clinique de chez Neurelec (devenu entre-temps Oticon Medical), et Sylvie Lautissier, orthophoniste du Service Implant avec qui j'avais effectué un bilan, il a fallu se rendre à l'évidence que le problème n'étant pas technique, il était donc sûrement physiologique.

Avec un petit peu le sentiment que cela n'intéresse pas grand monde, aucune réponse ne m'a jamais été donnée quant à l'origine de cette perception de voix dédoublées, générant une certaine frustration.

J'ai donc révisé mes prétentions à la baisse en adaptant ma vie à mes capacités auditives, en aménageant mon activité professionnelle et en faisant une coupe franche dans mes engagements associatifs.

Quatre années ont passé depuis ma seconde implantation et je dois reconnaître que la situation n'a pas franchement évolué. Cette perception de voix dédoublées est permanente et très fatigante il faut le reconnaître. Cela me pénalise dans beaucoup de situations car finalement, ma discrimination de la parole est bonne uniquement dans les situations de face à face en environnement calme. Dès qu'il y a plusieurs personnes ou un bruit ambiant, cela devient très difficile voire impossible. J'ai également définitivement fait une croix sur la musique qui reste totalement inaudible, ce qui me rend inconsolable...comment peut-on imaginer une vie sans une note de musique...

Je me rends compte finalement que depuis une dizaine d'années, j'ai intensifié ma pratique de la course à pied par plaisir bien sûr, mais aussi sans aucun doute parce que je recherche les moments de calme et de silence...ce qui est un comble pour quelqu'un de potentiellement sourd.. .!

Grâce à l'implant, j'ai donc retrouvé du son et une capacité suffisante à communiquer. L'objectif est donc atteint dans ce sens. Mais il y a une dimension qui jamais n'est prise en compte par le milieu médical ou le fabricant, c'est la notion de plaisir. Or, je dois avouer que celle-ci a totalement disparu de ma vie auditive. L'implant se limite donc pour moi à une aide technique qui me permet de rester en contact utile avec mon environnement.

Même si je peux comprendre que l'on ne puisse pas demander des réponses à toutes nos questions, mon activité au sein du CISIC me permets de réaliser que je ne suis pas le seul à éprouver cette sensation auditive « polyphonique ». Il me semblerait donc intéressant, un jour, de se pencher sur la question...

Mais définitivement, il y a une parole qui revient régulièrement à mon esprit, c'est celle de la très conviviale Françoise me répétant encore et toujours : "Il faut du temps, sois patient il faut du temps !".

C'est vrai, même si mon histoire de la surdité est récente, j'ai intégré que cette extraordinaire aventure de l'implant cochléaire n'est pas un long fleuve tranquille, et que passer d'une audition naturelle à une audition totalement artificielle ne peut se réaliser du jour au lendemain...mais sans aucun doute, cette magnifique technologie nous sauve la vie !

Yves Hamonic (Bordeaux)