Jean-Claude : La ténacité tout au long d’une vie !

Je suis né en pleine exode pendant la guerre, en 1942, de parents cultivateurs et d’un père mobilisé, et je fais partie de ces enfants dont la surdité n’a été détectée que tardivement, à la sortie de la guerre. A cette époque, la surdité est considérée comme une tare et peu prise en charge.
Quand ma surdité et celle de mon frère ainé et ma petite soeur est avérée, à la sortie de la guerre, mes parents choisissent d’envoyer l’ainé dans une école religieuse spécialisée. Mon frère apprend la langue des signes mais à son retour à la maison, les parents constatent sa grande difficulté d’adaptation au monde environnant.

Echaudés par cet « échec », ils décident de me lancer dans le « grand bain ». Pour la petite soeur, ce sont les cours particuliers mais par la suite un certain isolement que je n’ai heureusement jamais subi.

Je suis ainsi plongé dans une scolarité « normale », sans grands ménagements, une immersion dont je remercie maintenant ses parents. Dans ce petit village proche de Dieppe, tout le monde se connait et offre sa bonne volonté. L’instituteur se charge de l’enfant particulier que je suis en choisissant de ne jamais m’isoler des autres. J’estime ma chance : dans une classe de seulement 7 enfants, l’instituteur peut prendre le temps de s’occuper personnellement de moi. Il m’apprend à parler, épaulé activement par ma mère, et me mène jusqu’au certificat d’études. Le métier d’agriculteur est écarté, la surdité exposant à de nombreux dangers.

Il s’agit ensuite de trouver un collège qui puisse m’accueillir. Un instituteur fait des pieds et des mains pour que le directeur m’accepte parmi les autres enfants entendants. Après moultes atermoiements, j’obtiens gain de cause.

En 1956, on commence à parler des toutes premières prothèses auditives. Mes parents vont aussitôt consulter le premier audioprothésiste de Rouen. Je me souvient du réglage minimaliste de l’époque : pas d’audiogramme, pas de test de niveau de son... ! Je repars avec sa prothèse bricolée avec un simple tournevis. J’entre en 4e avec cette première prothèse. J’ai beaucoup de mal mais je m’accroche. J’entends les bruits, les chaises, le chahut mais je ne comprends pas encore les paroles. Placé au premier rang, je lis sur les lèvres et parviens à suivre le professeur.

Grâce à ma ténacité, mon cursus se poursuit sans encombre jusqu’au baccalauréat et un diplôme d’ingénieur agricole. Tout cela avec une simple prothèse auditive unilatérale et la lecture labiale.

Mes parents ont toujours refusé tout apprentissage de la langue des signes, car ils y voyaient l’instrument d’un enfermement dans la surdité. En famille, on ne gesticulait pas, et il fallait se faire discrets.

A 21 ans, je me fait appareiller pour l’autre oreille. Je m’installe avec mes parents malgré la décision initiale de tourner le dos à l’agriculture et je me marie avec une femme entendante. Dans la foulée, je reprends la ferme familiale. Deux filles naissent, malgré le risque génétique que ma femme et moi craignons. Par chance, elles entendent parfaitement et il en sera de même de nos petits-enfants.

En 2009 seulement les médecins me conseillent l’implant cochléaire. Comme je redoute de perdre mes repères et de subir un temps d’adaptation long et fastidieux post intervention, j’attends la retraite pour passer à l’acte.
L’implant m’apparaît comme un progrès formidable mais il me faut en passer par une longue période de rééducation pour maîtriser les bruits, désagréables au départ. Mon oreille fatigue vite mais je travaille avec l’orthophoniste sans relâche. Encouragé par mes progrès, je décide d’implanter ma 2e oreille en 2015 et je goûte enfin à la stéréophonie qui me permet de localiser les bruits et de progresser à grands pas : le bruit est maîtrisé, je peux écouter la télévision, suivre le journal d’informations et comprendre les films sans les sous-titres, avec une aide technique qui améliore la compréhension des paroles.
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Cette autonomie, gagnée à force de travail sur soi et sur son audition, j’ai plaisir à l’investir dans les loisirs : je prends des cours de golf, je participe à des randonnées avec des groupes. Sans être gêné par le vent, je profite de la qualité du son en extérieur. Grâce à l’assurance gagnée, je m’autorise enfin à discuter avec les autres !

Témoignage de Andrée, épouse de Jean-Claude :
Je n’ai jamais considéré Jean-Claude comme un handicapé. Il était en effet toujours très observateur, très vif, très réactif. Notre vie a été parfaitement normale et c’est plutôt le regard des autres qui pose problème et peut vraiment être blessant: encore aujourd’hui, si vous êtes malentendant, c’est que vous êtes débile !
J’avoue que j’ai vécu les implants comme des risques : risque chirurgical, risque d’une dégradation de l’existant... L’implantation, Jean-Claude l’a vécue comme libératrice et c’est vrai qu’elle lui a permis de s’ouvrir aux autres, de découvrir de nouveaux plaisirs. Mais Jean-Claude n’a jamais été isolé du monde, il était au contraire très investi auprès des Jeunes Agriculteurs et autres associations. Les enfants quant à eux n’ont jamais manifesté la moindre gêne vis-à-vis du handicap de leur père. Bref, nous avons fondé une famille ordinaire et vécu une vie normale !

20 Octobre 2018