L'intention de ce document est de présenter les points qui me semblent les plus utiles concernant mon expérience d’implanté.

 

À cet effet, j'explique d'abord brièvement la nature particulière de ma surdité. Je donne ensuite des indications techniques à propos des réglages et de leurs performances. Par conséquent ce document est un peu aride et je prie le lecteur de bien vouloir m’en excuser. Elle ou il sera aidé par les sous-titres, ce qui doit éventuellement permettre de sauter certaines sections. Les aspects concernant plus spécifiquement l’impact sur la qualité de vie sont évoqués en conclusion.

 

Revivre grâce à l'implant cochléaire

 

 

Origine de ma surdité

Je suis affecté d'une surdité héréditaire progressive. J'ai entendu correctement jusque vers les quarante ans, puis la surdité s'est lentement installée, commençant par les hautes fréquences. Elle est devenue profonde lorsque j'ai atteint la soixantaine. Cette surdité, accompagnée de pertes d'équilibre, est fréquente dans ma famille. Elle affectait ma grand-mère paternelle et mon père. Elle est aussi fréquente dans la région flamande, le lieu d'origine de ma grand-mère paternelle. J'ai donc fait procéder à une analyse génétique auprès du Centre de Génétique Médicale de l'Université d'Anvers. Ils ont trouvé que je suis en effet porteur d'une mutation, c'est à dire d'un petit défaut, d'un gène situé sur le chromosome 14. Ce gène est le gène COCH et la mutation est désignée par DFNA9 [1]. Ce défaut est à l'origine de ma surdité et aussi des problèmes vestibulaires qui entraînent les pertes d'équilibre typiques de cette mutation. Il semble que cette mutation affecte la qualité de la cochline, le fluide qui joue un rôle primordial dans le fonctionnement de l'oreille interne. Le conseil de l'équipe médicale d'Anvers était de corriger la surdité par un implant cochléaire.

 

Implantation et appareillage

Habitant la région, et travaillant à la faculté des Sciences à côté de l'Hôpital Gui de Chauliac, je me suis adressé au Professeur Uziel au printemps 2006. Après quelques tests, il a proposé l'opération pour juillet 2006. Il me restait un peu de sensibilité à l'oreille droite (-80 dB), tandis que la gauche était tombée à -100 dB. Le test du nerf acoustique a montré que l'oreille gauche était cependant implantable. L'opération eu lieu le 19 juillet. L'appareil implanté est un Nucleus Freedom de Cochlear. Je fus appareillé par Jean-Pierre Piron le 30 août 2006. Quel choc de réentendre immédiatement ma propre voix et de réentendre aussi une multitude de bruits oubliés, allant du clignotant de la voiture au vent dans les arbres en passant par le chant des oiseaux le matin.

 

Orthophonie et réglages, performances et difficultés

Bien sûr, la perception correcte ne s'obtient pas immédiatement. Il faut patiemment faire de l'entraînement. J'ai en cela été bien guidé par Mme Vieu à l'Institut St Pierre de Palavas. Il faut aussi procéder au début à des réglages périodiques de l'électronique. M. Piron et moi avons finalement opté pour une stratégie dans laquelle seize contacts de l'implant sont adressés par chaque train d'impulsions. C’est le maximum que permet ce modèle d'implant. Il me semblait que pour bien entendre la musique, mais aussi pour comprendre les langues étrangères, il fallait que l'information livrée au cerveau soit la plus riche possible. Cette stratégie semble payante. Bien que les 22 contacts de l'implant, étalés en fréquence sur 4,5 octaves, ne donnent en principe et en moyenne que moins d'un contact par ton musical, je distingue maintenant les demi-tons. Un test réalisé par une étudiante a même révélé vers la fin 2007 que j'étais déjà à même de distinguer 510 Hz de 500 Hz, et 1040 Hz de 1000 Hz. Par comparaison, une oreille musicale bien entraînée peu reconnaître une différence d’un comma, un rapport de fréquences de 81/80. Le rapport 510/500 correspond à un peu plus d'un comma, et le rapport 1040/1000 à trois commas. C'est probablement une performance exceptionnelle et ce succès est sans doute lié à la nature particulière de ma surdité [2].

Mon audition en tête-à-tête dans un environnement calme est redevenue quasiment parfaite, bien meilleure qu'elle l'était dans la cinquantaine aidée de prothèses auditives classiques. L'autre point extrêmement positif est l'écoute de la musique en concert. J'avais perdu totalement le goût pour la musique chantée. La combinaison de la voix humaine et des instruments était devenue insupportable, car très mal audible. Juste après l'implantation, les sons de différents instruments présentés par Mme Vieu étaient difficilement reconnaissables. Le son du violon était un chuintement horrible. Après six mois, et beaucoup de travail de mise au point par M. Piron, cela a évolué remarquablement. Je réécoute maintenant tout aussi bien l'opéra que la musique de chambre avec beaucoup de plaisir. Les programmes de traitement de signal les mieux adaptés sont pour la musique de chambre Whisper avec une sensibilité élevée (17 par exemple), et pour la musique vocale Whisper+Adro avec une sensibilité de l'ordre de 14. Quant à la voix, mon expérience est qu'elle est légèrement plus distincte avec le programme Adro, sensibilité 12. Ce dernier est mon programme de base. Finalement dans les milieux bruyants, par exemple au  restaurant, la voix d'une personne placée face à moi est bien distincte avec le programme Beam+Adro. Une autre observation utile est qu'à l'extérieur, par vent fort, le bruit du vent dans l'appareil est très atténué en passant au programme Beam. Cela permet de poursuivre une conversation qui autrement serait interrompue par le bruit du vent.

Pour le téléphone j'utilise la position MT. Si l'écouteur contient une bobine, l'audition est alors parfaite. Pour la télé, j'utilise un collier magnétique sur la sortie casque avec mon appareil en position MT. Notre récepteur télé est équipé d'une sortie casque totalement indépendante des haut-parleurs. C'est très agréable pour les autres spectateurs qui peuvent régler le récepteur comme bon leur semble et avec lesquels je peux quand même communiquer en éloignant le collier magnétique.

Toutes ces performances sont tellement excellentes que j'en viens parfois à oublier que je suis sourd, et même profondément sourd! J'ai en effet perdu entre temps le peux d'ouie qui me restait à l'oreille droite. La difficulté de la surdité refait surface dans les pièces bruyantes et lors de conversations en groupe. La quantité d'information nécessaire pour extraire un message utile d'un fort bruit ambiant est apparemment encore bien plus élevée que ce qu'il faut pour apprécier la musique. Quoique cette expérience provoque toujours un certain dépit, il faut je crois être disposé à accepter ce fait.

Une remarque finale concerne la fréquence des réglages de l'électronique. Il faut apparemment quelques mois pour que le cerveau réapprenne à interpréter les signaux reçus. Chaque nouveau réglage donne donc lieu à une période pendant laquelle la perception fine des détails peut être perturbée. Je m'en suis rendu compte très clairement en me jouant une gamme au piano avant et après réglage. Avant réglage la gamme était correcte. Après réglage la perception de deux notes successives était inversée. Il a fallu quelques mois pour que ma perception de la gamme redevienne normale. En conclusion, en régime de croisière il vaut sans doute mieux procéder à des réglages peu fréquents quoique plus importants plutôt qu'à des réglages fréquents qui perturberont constamment la perception. Pour la même raison, les tests de compréhension seraient peut être plus significatifs s'ils étaient faits juste avant réglage plutôt que juste après.

Amélioration de la qualité de vie

Mon père avait coutume de dire que contrairement aux apparences il est bien plus pénible d'être sourd que d'être aveugle. En effet, la surdité ne se remarque pas de façon évidente et elle conduit à la solitude, à l'isolement et à l'amertume, tandis qu'il se trouve toujours des bénévoles pour aider les aveugles. Ces derniers sont donc en fait plus liés de manière positive à leurs congénères que la moyenne des humains.

Mes proches ont remarqué ces deux dernières années une évolution notable et positive de ma personnalité. Je suis redevenu sociable, je surmonte une timidité qui s'était installée au fil des ans, et partant je suis aussi plus gai. Ce que je ressens personnellement c'est que si je pose une question je comprendrai la réponse. Je peux donc converser. Je ressens aussi une gloutonnerie d'écoute, comme si j'avais à rattraper toutes ces années d'isolement relatif. J'écoute attentivement la radio (France Culture!) au petit déjeuner que j'ai tendance à prolonger si le sujet débattu m'intéresse, ce qui est très souvent le cas. J'écoute aussi la radio dans la voiture, ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant. Je n'ai qu'un seul regret, celui de ne pas m'être fait implanter plus tôt!

En terminant j'aime encore remercier très chaleureusement toute l'équipe du Professeur Uziel pour son amabilité, sa disponibilité, et sa très grande compétence. Je remercie aussi ma femme Monique pour la patience avec laquelle elle m'a accompagné durant ce long intervalle de surdité et pour l'insistance avec laquelle elle m'a convaincu de me laisser implanter.

Références

 

[1] Y. J.M. de Kok et al., A Pro51Ser mutation in the COCH gene is associated with late onset autosomal dominant progressive sensorineural hearing loss with vestibular defects, Human Molecular Genetics, 8, 361-366 (1999).

 [2] K. Vermeire et al., Good speech recognition and quality-of-life scores after cochlear implantation in patients with DFNA9, Otology & Neurotology, 27, 44-49 (2006).