"Je suis atteinte de surdité congénitale, évolutive, génétique. J’ai trois enfants, dont deux, des jumeaux, sont malentendants"

dominique_robin.jpgBonjour, je me présente, Dominique. J’ai 47 ans, je suis implantée depuis novembre 2004.

Je suis atteinte de surdité congénitale, évolutive, génétique. J’ai trois enfants, dont deux, des jumeaux, sont malentendants.

Souvent on demande à une personne implantée : depuis quand êtes vous sourde ? Je n’ai pas la réponse. Mon premier audiogramme, alors que j’avais dix ans environ, indique une perte moyenne de 50 dB environ. A 30 ans, environ 70 dB de perte. Peu de temps après, avec presque 80 dB de perte moyenne,  j’ai eu mes premières prothèses auditives.  Lorsque je me suis fait implantée, j’étais à 100 dB environ de perte. Bizarrement, je n’ai jamais eu véritablement conscience que je devenais, et que j’étais en fait, « sourde ». Certes, des bruits disparaissaient de mon environnement sonore, mais, ayant toujours les fréquences graves, je ne me rendais pas compte de la gravité de ma perte.

La première fois que j’ai entendu parlé de l’implant cochléaire, c’était il y a presque 20  ans. Une association s’était montée pour trouver des dons qui permettraient l’implantation d’un enfant atteint du syndrome d’Usher. Et j’ai pensé : « c’est génial pour lui ». Sans imaginer qu’un jour je pouvais bénéficier de cette fabuleuse technique.   Mais  l’implant était rangé, bien soigneusement, dans une petite case de ma tête. Toujours présent, bien que silencieux …

J’ai commencé à plus sérieusement y penser à la suite d’une perte brutale de 10 dB. Un douloureux passage de 90 à 100 dB de perte. Je ne comprenais plus rien au dialogue, je ne supportais plus les bruits. Je commençais à sérieusement me recroqueviller dans ma coquille, dans mon petit monde à moi. Pire que tout : je ne me supportais plus. J’ai rencontré le professeur Dubin en 2002, qui m’a alors dit : « vous savez, j’ai encore un implant, si vous voulez, vous pouvez en bénéficier ». J’ai réfléchi, analysé les pour, les moins, me demandant si j’étais vraiment sourde à ce point. Et cette drôle de question : est ce que je le mérite ? Je considérais  l’implant comme un cadeau. Un magnifique cadeau qu’il me fallait mériter.

J’ai, avec l’aide d’un psychiatre,  réfléchi 1 an. J’avais par ailleurs d’anciennes blessures relatives à ma surdité qu’il me fallait soigner pour pouvoir progresser. Puis j’ai contacté l’unité d’implant cochléaire : j’étais prête.  J’ai donc passé la batterie d’examens et rendez vous habituels : scanner, IRM, orthophoniste, ORL, chirurgien, psychologue, rencontres avec des implantés. Un véritable parcours du combattant. Il faut le vouloir, l’implant, pour l’avoir. Et c’est vrai que la motivation est primordiale.

J’ai été opérée en novembre 2004.

Je ne peux pas dire que j’ai souffert, mais je ne peux pas dire que tout était parfait. Certes je n’ai pas eu mal au niveau de l’opération. Mais les vertiges…. Les nausées ….. 6 mois de vertiges, à me tenir au mur. 1 semaine de nausées. Même les antibiotiques me soulevaient le cœur. Mais je sais maintenant que, si j’ai eu des vertiges, c’est que toutes les électrodes sont bien en place, au fond de ma cochlée, pour stimuler toutes les fréquences. Et d’ailleurs l’intervention n’est plus qu’un mauvais souvenir. Et bien court au regard de mon bonheur quotidien.

J’ai eu ma prothèse extérieure en  décembre 2004.

Les premiers « sons »  dont je me rappelle, ce sont les voix de mes audioprothésistes, bizarres,  lointaines, comme si on parlait dans un tube. Le deuxième son, le pire, ce fut mon rire, réaction nerveuse,  en entendant les voix. Et l’horreur que j’ai ressentit en m’entendant glousser. J’ai été longue avant d’accepter de m’entendre rire, et donc de me laisser aller de nouveau à rire.  Maintenant, je ris pleinement,  et mon rire est souvent contagieux.

Puis ce fut le trajet du retour en voiture : moteur, clignotants. Les clignotants. J’avais oublié qu’ils étaient si bruyants. Et enfin l’arrivée a la maison. Les enfants, qui ne savaient comment me parler. Et, couvrant tout, encore un autre son inconnu : les bulles de l’aquarium …. Et oui, les bulles font également du  bruit en éclatant.

Le lendemain, seule chez moi, avec pour toute compagnie mon implant, tout beau tout neuf, je tapais. Je tapais sur toutes les surfaces possibles, avec tous les ustensiles possibles. Je tapais et je pleurais. Cette journée reste gravée dans ma mémoire comme un moment d’émotion intense. Et je redécouvrais tous ces sons parfois oubliés, parfois inconnus. Je comparais entre eux : les graves, les aigus, les longs, les courts, les cliquants, les teintants, les sourds. Combien de noms peuvent décrire les sons qui nous environnent ? je découvrais le bruit du vent, les pschitt des voitures sur la chaussée mouillée, le café qui passe dans la cafetière, le chat qui miaule, le lave vaisselle, le micro onde, le beurre qui grésille dans la poêle, et les voix.  Les voix. Comment décrire une voix ….. Surtout quand celle-ci ne ressemble a plus rien de  connu.

J’ai commencé la rééducation avec Monsieur DESNOS en janvier. Nous avons commencé par travailler avec les sons des animaux, avant de nous lancer dans la parole. Des sons, des syllabes, quelques mots. J’ai eu des moments de découragement, des crises de fous rires, des angoisses terribles. Mais la rééducation finit par produire ses fruits dans la vie quotidienne : c’est un mot qui surgit, puis c’est la joie d’une phrase. Et enfin c’est une conversation. 6 mois après je soutenais une conversation sans fatigue. J’ai fait également partie de la fanfare du carnaval d’Angers pour travailler les sons : les tambours, les maracas, les triangles, les djembés. Ecouter la télé sans sous titrage, avoir le réflexe radio. Autant de situations qui m’ont aidé à progresser et m’habituer à ma nouvelle audition. J’ai choisi d’arrêter l’orthophonie en octobre je crois.

Deux ans après, le résultat est la : je participe sans effort a une conversation, sans l’aide de la lecture labiale dans un environnement calme, plus difficilement  quand il y a du bruit. Mais une difficulté sans rapport avec les difficultés que je rencontrais avec mes anciennes prothèses, qui me gênaient plus qu’elles ne m’apportaient, et que souvent je coupais pour ne plus faire que de la lecture labiale. J’arrive à suivre les films à la télévision, avec une préférence pour les films français.  Itou le cinéma. Je vais à la fête de la musique, à des concerts de musique classique. C’est plus dur pour les opéras : « l’enfant et les sortilèges », ce doit être quand même mieux avec le sur titrage ….. Je prends, sans problème, le téléphone si mon interlocuteur ne parle pas trop vite. Je suis devenue boulimique d’activités : dessin, sculpture. Et gymnastique. Enfin pouvoir faire de la gymnastique en groupe ! Certes, les dialogues n’ont rien de passionnant : « on y va pour une série de 10, et 10, 9, 8, etc. etc. » Mais faire de la gym sans avoir besoin de jouer les contorsionnistes pour voir ou en sont les camarades, c’est quand même plus facile, et moins stressant. Cerise sur la gâteau pour moi : Le taï chi. Nous sommes dehors, à 20 mètres de la voie rapide, le professeur nous tourne le dos, et je peux suivre le cours. Parfois, je m’arrête, et je lève la tête en souriant : c’est un oiseau qui chante dans un arbre. Je ne le voie pas, mais il est la. Et il est la vie. Mes rapports avec mes collègues de travail sont beaucoup plus chaleureux. Je ne suis plus isolée lors des grandes réunions familiales. Je peux assister à des conférences. Je n’ai plus peur d’aller chercher le pain (combien dites vous ?????). Je peux parler dans la rue tout en marchant, sans avoir besoin de regarder le visage de mon compagnon de route, vaquer à mes occupations habituelles sans devoir m’arrêter pour regarder mon interlocuteur pour le comprendre.

L’implant m’a apporté une deuxième vie. Celle-ci me semblait devenue inutile, et tellement lourde à assumer. Je me dis maintenant que j’ai la vie devant moi. Avec un magnifique soleil. Le gros rocher qui encombrait ma rue a disparu. C’est un cadeau magnifique.

Je vais clore en rappelant ce que j’ai mentionné au début de mon témoignage lorsque je disais que je n’avais pas le sentiment que j’étais sourde. Et bien maintenant que je suis implantée, je peux le dire : je suis sourde. Et si  je peux le dire, c’est parce que  grâce à l’implant, j’entends.