"Mais à vrai dire je suis ailleurs, quelque part au fond de moi même à me retourner sur quinze mois d’horreur, à déguster cet instant rêvé où pour la première fois il m’est permis de faire un légitime bras d’honneur au syndrome de Cogan."

 

Devenir sourd en 3 semaines 

L'attente

Espérer

La délivrance

Je dédie ce témoignage à tout ceux qui sous une forme ou sous une autre ont accepté de jouer le jeu d'écrire sur une ardoise 15 mois durant. Mais aussi à Charlotte, 5 ans au moment de ma surdité, mais qui pourtant n'hésita pas à rassembler tout son alphabet de deuxième année de maternelle pour m'offrir un incroyable mime des lettre B et C afin que je comprenne qu'elle s'était B.C parce qu'elle avait eu peur du passage d'un Canadair. Je vous aime!!!!

 

I°/ DEVENIR SOURD EN 3 SEMAINES SANS AUCUN PREAVIS:

 

            Avril 2003:

            “ Mais qu’est ce qu’ils ont tous en ce moment, hein? ILS ME TUENT, ILS M’EPUISENT AVEC LEURS RECRIMINATIONS PERMANENTES.” A avoir endossé il y a trois ans l’uniforme bleu et rouge des cheminots je suis à moi tout seul devenu la représentation humaine de cette hydre aux contours flous qu’est la SNCF. Alors, au nom de la maison mère, j’encaisse seul en silence, tout comme mes collègues vendeurs encaissent seuls dans leur coin...  “MAIS SEIGNEUR, NE SERAIT-IL PAS POSSIBLE DE LES FAIRE TAIRE? FAIRE EN SORTE QUE JE NE LES ENTENDE PLUS TOUS CES BRAILLARDS DU PETIT MATIN, hein? Est ce trop demander?...” Je n’imaginais pas être entendu à ce point. Un petit mois sera en effet suffisant pour obtenir un de ces silences dont on ne revient pas...

 

 

            6 Mai 2003:

            Fidèle au poste, je les attends mes braillards. Sauf qu’aujourd’hui voilà, mon oeil gauche n’a de cesse de me gratter. Plus je me regarde dans la glace et plus mon oeil est rouge. J’essaie de vendre des billets de train, mais plus je le fais et moins il m’est possible de fixer l’écran de mon p.c. A voir cet oeil qui au fur et à mesure que les minutes s’écoulent se transforme en oeil de vampire mon chef m’ordonne d’aller chez le médecin. Sans le savoir encore je viens d’achever là mon ultime journée de travail pour entrer dans un combat avec moi même qui va durer près de deux ans.

            Le médecin vu, il m’est diagnostiqué un rhume des foins. Certes, c’est de saison mais je reste sceptique dans la mesure où je ne me connais pas ce genre d’allergie. Je suis traité avec des collyres et cela va mieux dans les jours qui suivent.

 

            11 Mai 2003:

            Pendant le déjeuner je suis pris d’une étrange sensation, tout au moins inconnue jusque là. J’ai le sentiment de m’être pris une mauvaise cuite mais pourtant cela ne peut être cela. Me sentant nauséeux je quitte le repas et reste allongé tout l’après-midi. Bizarre quelque chose semble avoir explosé dans mon oreille gauche. J’entend comme un jet de vapeur. Ce doit être çà les acouphènes, non? En tout cas si c’est ça y’a pas de quoi fouetter un chat, tout au moins je veux dire, pas de quoi compatir avec tous ces “hypocondriaques” qui se plaignent “d’avoir un bruit dans la tête” comme j’ai pu le lire ou le voir à la TV. Je refais surface le soir avec cette curieuse impression de ne pas être stable sur mes jambes et d’être légèrement assourdi de l’oreille gauche mais dans l’ensemble ça va.

Le lendemain matin je suis dans le même état et l’après-midi je me décide à regagner Paris car le surlendemain débute une grève et que je suis un cheminot non gréviste. Erreur fatale semble t il puisque sitôt le pied posé à la gare de Lyon tout a commencé à bouger de façon anormale autour de moi (les personnes comme les murs). C’est presque à quatre pattes que je regagne mon domicile à Cergy-le-Haut. Le soir même mes yeux deviennent sensibles à la lumière. Inquiet, je décide de dormir chez ma soeur à quelques centaines de mètres de là. Le lendemain au réveil, grève ou pas, je ne devais pas aller travailler car cette fois le vertige était bel et bien là. Aucune envie de vomir, mais incapable de mettre un pied devant l’autre. J’appelle Sos-médecin et on me diagnostique un vertige de Ménière. Je suis traité au Tanganyl jusqu’à nouvel ordre. Un peu moins d’une semaine passe et rien ne bouge, si ce n’est le décor autour de moi. En plus, je m’aperçois que je ne capte plus le téléphone de l’oreille gauche. Je me rend en urgence avec une amie chez un ORL près de chez moi. Je commet l’erreur de laisser mon amie dans la salle d’attente car cette fois ci je n’entend rien ni à droite ni à gauche. Tout ce que je comprendrais de la part de cet ORL c’est “il est pas là, il vous rappellera la semaine prochaine”. Mais qui donc ai-je vu? Je me le demande encore. Il me déleste d’une quarantaine d’euro tout en m’ayant tout de même prescrit du Nootropyl. Bref, j’attend et je dois admettre que l’audition remonte, ou tout au moins est oscillante. Par contre le vertige ne bouge en rien, omnipotent et omniprésent. Je dois bien me rendre à l’évidence que je ne peux plus vivre seul en l’état actuel des choses, que je dois songer à ma sécurité. C’est la raison pour laquelle ma soeur me descendra chez mes parents, retraités près de Tours. Là est repris pour le jour même Rdv avec un ORL. Je passe des tests et en dépit d’une audition fluctuante mais tendant toujours vers le bas, celui ci ne semble pas alarmé.

            Le 26 Mai je me sens étrange au point que pour la première fois de ma vie je demande à être hospitalisé. Réponse du médecin de famille: “ tout ce qu’on vous fera là bas c’est une perfusion, autant rester chez soi...” Il a tout de même rappelé depuis chez mes parents l'O.R.L. vu trois jours plus tôt et comme prévu pas d’inquiétude de la part de celui ci: “ y’a du recrutement donc pas de panique”. Fait étrange, à bout de nerfs je pleure, non pas sur ma surdité que l’on me promet transitoire et ce dont je ne doute pas, mais sur mon vertige qui m’empêche tout simplement de vivre. Résultat inouï de cette crise de larme!!! Je me remet à entendre comme jamais depuis une semaine. Mais sans que je ne le sache encore c’est là la dernière rémission passagère de mon audition.

 

            28 Mai 2003:

            En effet, dans la nuit, j’assiste impuissant à l’agonie de mes oreilles. A 3h30 du matin plus moyen de dormir. Je n’entend plus rien du tout mais pire encore un vacarme inouï s’est installé dans mes ouïes. MON DIEU, C’EST DONC CA LES ACOUPHENES!!!! QUELLE HORREUR!!! Je viens enfin de comprendre de quoi ils se plaignent, ceux que quelques jours auparavant je qualifiais d‘hypocondriaques. Comment peut on vivre avec ce truc dans la tête? Comment peut on supporter d’entendre cette chose qui ne rime à rien plus d’une journée? Hein? AU SECOURS!!! Mais découvrir le silence n’est qu’une partie de l’horreur. En effet, je m’aperçois également que je ne supporte plus la lumière, aussi faible soit elle. Triste bilan donc: je n’entend plus, je ne tiens pas debout et me voilà maintenant aveuglé par la lumière.

            On file de nouveau chez l'O.R.L. puisque c’était de toute façon prévu ce matin là. Après avoir effectué un certain nombre de tests j’ai vu le visage de celui ci changer du tout au tout... Il semblait gagné par la panique. Mon père me l’avouera plus tard, il semblerait que l'O.R.L. n’ait jamais rencontré une telle dégradation auditive en si peu de temps.

            Et c’est donc aussitôt sorti de chez l’ O.R.L que je prend la route du C.H.U Bretonneau de Tours. Sensation sordide, sur la route de l’hôpital lorsque deux supersoniques de l’armée passent au dessus de la voiture. Même çà je ne l’entend pas, ça ne se peut pas, ça ne se peut pas un truc pareil!!! Au bout de 3h d’attente au service des urgences O.R.L. j’établis un premier contact avec le Dr Serment. Devant l’étendue du vertige, mes yeux de Dracula et mon néant auditif il ne peut que se résoudre à m’hospitaliser. Il me promet pour le jour même une IRM du cerveau, une consultation ophtalmo et une ponction lombaire... Aie aie aie ça promet... Je ne sais pas ce que j’ai mais je redoute d’avoir un sale truc au cerveau. Il faut dire aussi que cette espèce de tremblotte qui me secoue de temps à autre depuis quinze jours n’est pas sans me rappeler celle que je voyais au quotidien sur Stéphanie, une amie atteinte de sclérose en plaques. Ne pas paniquer... surtout ne pas paniquer... On me monte enfin dans ma chambre. Un septuagénaire que je vois flou attend patiemment quelqu’un pour enfin quitter l’hôpital. Et moi? Quand vais-je sortir de cet enfer? En sortirai-je seulement? Je veux dire vivant... Ne pas paniquer, ne pas paniquer, trouver une quelconque raison d’espérer. Oui, mais quoi?

            Au moment où l’on vient me chercher pour passer l’I.R.M du cerveau, je recroise mon père qui m’a acheté tout un tas de revues pour patienter. C’est de cette pile anodine de bouquins que viendra la raison d’espérer que je recherche. Car à mon retour dans la chambre je découvre le numéro de juin 03 de Science et Avenir. Et là tilt... Il y est question d’une certaine Catherine, une devenue sourde qui s’est remis à entendre depuis qu’elle porte un implant cochléaire. En dévorant l’article me revient alors à l’esprit quelque chose de capital, une émission vue à la TV deux ou trois ans plus tôt alors même que je n’étais absolument pas concerné par la surdité. Et je la revois, là, cette personne sourde implantée qui répond aux questions de Martine Allain-Regnault. C’est donc ainsi, le jour même où j’entre de plain pied dans la surdité que je découvre l’implant cochléaire. Ouf, j’ai enfin là une raison d’espérer même si au fond je ne sais toujours pas ce que j’ai...

            Puis on m’envoie en consultation ophtalmo. Je suis harassé de fatigue bien que n’ayant rien fait d’extraordinaire pour cela. A plusieurs reprises je m’endors alors même que l’on est en train de me regarder le fond des yeux. Ce n’est vraiment que parce que l’on me secoue le bras que j’émerge à chaque fois du sommeil. Mais qu’est ce donc encore que cette fatigue intense que je ne me connais pas... A la fin de la séance, la jeune ophtalmo aux contours désespérément flous me parle tout en s’agitant. Tiens donc, il semblerait que ce corps qui s’agite dans sa blouse blanche ait quelque chose à me dire, mais bien sûr rien que je ne puisse entendre... Je lui demande donc de me l’écrire et tant pis si cela doit m’arracher les yeux de lire. Elle s’exécute et je découvre inscrit sur une feuille volante: “ Est ce que vous savez ce que vous avez?”. Et pourquoi suis-je là d’après toi? Pensai-je tout bas... Et c’est alors que m’apparaît sur la feuille un nom de maladie totalement inconnu: “ vous avez le syndrome de Cogan mais rassurez vous vous allez y voir clair” m’écrivit elle tout en souriant. Vous allez y voir clair... vous allez y voir clair, mais qu’est ce qu’elle croit? Que je suis dupe de cette demi vérité qui devrait m’enchanter? Et le reste? Cet incroyable silence acouphénique? Hein? Parce que moi je n’entend que lui... Comme je pouvais m’y attendre elle me demanda pour ce qui est des questions auditives de me tourner vers mon O.R.L. Dommage car en fait, c’est la seule fois où j’ai osé poser la question et ce défaussement m’a de toute façon  fait comprendre que je n’entendrais plus...

            On me ramène dans ma chambre où pour me remonter le moral je relis une nouvelle fois l’article du Science et avenir consacré à l’implant. Le résultat de l’I.R.M du cerveau tombe, négatif. Puis je regarde en compagnie de Guillaume, mon compagnon de chambrée qui avait pris la place du septuagénaire, la finale de la coupe d’Europe de football. Instant sordide, jamais je n’avais pensé qu’aucun son ne puisse sortir d’une TV. Un match de foot en plus, je ne parle pas ici de comprendre ce qui se dit, non juste entendre la rumeur du public dans le stade. Même çà m’est interdit... Je vais me réveiller. Oui c’est sûrement çà je dois dormir et je vais me réveiller. Ben non, la réalité c’est qu’il est 21h15 en ce 28 mai 2003 et que l’on vient me faire une ponction lombaire... Je n’oublierai jamais je crois cette désagréable sensation de l’aiguille me perforant le dos, ni même plus simplement un seul des instant de cette horrible journée, celle où je suis entré dans la surdité profonde.

 

             Des le lendemain démarra le traitement en vue de tenter de me rétablir l’audition. Une perfusion de cortisone tous les matins pendant 10 jours et on verra... Oui c’est tout vu... mais rien entendu... Parallèlement le traitement de mes symptômes oculaires avait démarré la veille au soir. On m’instillait 3 séries de gouttes 4 fois par jour jusqu’à nouvel ordre. On me refit un audiogramme. Ah dieu que c’est bon d’entendre tous ces bip bip aussi lointains soient ils. Certes ce n’est pas avec des bip bip que l’on crée une conversation mais faute de mieux c’est toujours bon à prendre. j’eus mon premier rendez-vous avec l’orthophoniste dans l’enceinte de l’hôpital. Mon dieu que cela me paru avilissant! En effet au cours de cette première séance j’eus l’impression de remonter en arrière toute ma scolarité. Bac, seconde, sixième, CP, pour me sentir mentalement revenu à ma deuxième année de maternelle, celle où j’ai appris mes premiers mots écrits. Mon dieu, voilà donc à quoi j’en suis réduit, réciter des noms de fruits, de légumes, de couleurs... Dans le dos de l’orthophoniste, sur une étagère je vois tout un dossier consacré à l’implant. Je ne lui pose aucune question de peur qu’elle me réponde que ce n’est pas pour moi. Je pose même tellement peu de questions sur ma surdité que l’on fini par m’envoyer une psy... Ce n’est pas un déni de ma part, j’ai fort bien compris la situation. Pour l’avoir lu, vu, entendu auparavant je sais que lorsqu’on devient sourd... on le reste. En fait, je ne veux pas avoir le détail de peur de perdre toute espèce de motivation en ce qui reste mon objectif principal depuis 3 semaines: remarcher un jour. Et puis de toutes façons à quoi bon m’occuper de mon audition si dans le même temps je perds toute faculté d’aller au devant des autres. Ne plus entendre c’est dur à avaler mais à la limite pourquoi pas. En revanche ne plus marcher c’est dans mon esprit la porte ouverte à la dépendance. Alors un seul mot d’ordre: marchons, marchons encore et toujours puisque c’est la seule façon existante de combattre le vertige!!! La tâche est incommensurable, tout est un obstacle et je me limite délibérément à des aller et venues dans le couloir les deux premiers jours. Mais dès le 3ème jour j’entame une nouvelle série d’exercices grâce à la bienveillance de mon partenaire de chambre. Objectif: me rendre à la librairie de l’hôpital située à 200m de ma chambre dans un autre bâtiment. Le tout se fait donc à découvert avec les insoutenables obstacles que représentent les personnes croisées et les voitures. Trois fois par jour je m’impose cet exercice. Une fois pour voir les livres, une fois pour choisir, une fois pour acheter. De toutes façons il n’y a jamais qu’en marchant que je puisse vaincre ce vertige. Ca prendra le temps que ça prendra mais j’y arriverai. Et quand à vous là haut , les hirondelles qui silencieusement me narguent sur le toit du CHU vous ne perdez rien pour attendre. Je vous réentendrai un jour. Quand? Je n’en sais rien mais j’y arriverai soyez en sûres.

            Dix jours ce sont donc écoulés à l’hôpital, toutes mes analyses autres qu’oculaires me sont revenues négatives  et je quitte donc l’hôpital aussi sourd et vertigineux que lorsque j’y suis rentré. J’y ai même au passage gagné quelques acouphènes.

 

II°/ ATTENDRE...

 

            Juin/juillet03

            Se pose alors maintenant le problème de la gestion de ma personne. Je remarcherai, c’est un fait établi mais en revanche il n’y a aucune estimation de délai pour y parvenir. Cela peut être demain comme dans plusieurs mois... Etre patient j’y suis bien obligé mais comment meubler intérieurement ce crâne dans lequel plus aucun son ne rentre désormais? Pourrai je encore longtemps me contenter de ce petit plaisir  qui consiste à se délecter des 1 ou 2 décibels qu’une porte qui claque aura eu la grâce de m’accorder? Devrai-je encore longtemps être jaloux de deux chiens qui se reniflent le derrière, tant dans leur silence olfactif ils semblent se comprendre mieux que moi, un homme, je ne comprendrais jamais aucun de mes semblables?  Dieu que ce monde du silence est bien trop grand pour moi tout seul! Même ma voix m’a lâché et je reste sidéré encore aujourd’hui de voir que deux jours de surdité suffisent pour ne plus être capable de savoir si l’on parle assez fort ou au contraire trop bas. Deux misérables journées suffisent ainsi à effacer 33 ans de vie commune avec moi même! La seule voix sur laquelle je puisse désormais compter c’est cette petite voix de la conscience qui nous anime tous. C’est la seule voix qui me reste claire et limpide, la seule que je puisse comprendre sans faillir.  Alors suivons la, elle le mérite bien puisqu’elle me reste fidèle. Elle me commande de ne rien lâcher, d’être borné comme jamais. Je m’exécute même si je pressens que cela va être dur de tenir sur toute la durée de l’épreuve qui m’est imposée. J’attend beaucoup de la télé pour me distraire. Quelle horreur!!! Il ne faut guère moins d’une semaine de surdité pour comprendre que finalement c’est lorsque la télé a décidé de nous regarder, nous les sourds, que nous pouvons le faire... J’adore écrire c’est vrai mais au vu de la situation cela me sort rapidement par les yeux. Ecrire pour entendre, écrire pour se donner l’illusion de voir ou de toucher ses amis restés par la force des choses à 250km de moi, écrire pour écrire...  Bref je m’ennuie dans cette nouvelle vie où finalement la seule véritable joie sera de se coucher pour enfin éteindre ses acouphènes et regagner le monde du rêve, seul monde où je puisse comprendre les gens lorsqu’ils parlent. Et mes braillards du petit matin, ceux là même que j’exécrais il y a peu, ils me manquent. Les reverrai-je un jour? J’en doute. Quel objectif créer lorsque par la force des choses on se retrouve bloqué dans un immuable présent et qui plus est devoir se contenter pleinement de ce présent là puisque cette sordide maladie n’incite pas trop à vouloir regarder le futur. Car cette saloperie peut décider du jour au lendemain de m’attaquer les reins, le coeur, les aortes ou tout ce que bon lui semblera. Car les symptômes que je viens de décrire plus haut ne sont hélas que le tronc commun initial de toute personne atteinte du syndrome de Cogan. Apres c’est la grande loterie...

            Fort heureusement l’objectif à court terme à atteindre me viendra de deux amies. Elles me proposent de les rejoindre en Août en Corse. Ouais ben y’a du boulot! Mais cela décuple mon énergie dans ma guerre contre le vertige. J’ai deux mois pour parvenir à mes fins. Bilan: en plus de la marche dans le jardin, je m’astreint à quelques séances de vélo d’appartement mais aussi à de nombreuses séances d’un jeu de formule 1 sur mon P.C avec pour objectif de contraindre ma tête à comprendre qu’elle peut tourner à droite et à gauche sans risquer une chute. Parallèlement à cela j’entreprend 2 à 3 fois par semaine des séances de lecture labiale avec Mme Attard orthophoniste à Bléré. Je trouve toujours autant avilissant cette impression d’être retombé en enfance. Surtout que tout autour du bureau il y a plein de jouets et de dessins d’enfants. Mais malgré tout je trouve ça intéressant même si les exercices me semblent incroyablement durs. Et de toutes façons si je veux me lancer dans une procédure implantatoire je n’ai guère le choix, c’est dans mon propre intérêt à moyen terme. Certes l’implant n’est pas encore à l’ordre du jour, la question n’est même pas à poser avant septembre date à laquelle j’aurai suffisamment eu de résultats médicaux permettant de statufier sur le caractère définitif de ma surdité. Mais bon, tout novice que je suis en matière de surdité, je ne suis pas dupe sur le degré de la mienne et je suis déjà convaincu que de simples contours auditifs ne me seront d’aucun secours. C’est la raison pour laquelle je commence sur Internet à regarder tout ce qui traite de l’implant. Bien sûr je me nourri de longues heures durant des paroles des anti et des pro implant. Ma décision est de toute façon prise même si ce n’est pas pour demain. L’implant je le tenterai car je ne puis rester ainsi. Audition perdue pour audition perdue je n’ai rien à perdre à tenter de m’en sortir. Alors bien sûr il y a cette question qui me trotte dans la tête au vu des témoignages des uns et des autres. Qu’est ce que ça veut dire “entendre différemment”? Cette notion là dépasse totalement le “normo entendant” que j’étais il y a peu. Et oui je pense m’être enfoncé trop rapidement dans la surdité pour pouvoir comprendre cela. Mais qu’importe, ce que j’espère moi par le biais de l’implant c’est parvenir à converser avec une seule personne même si c’est en lisant sur ses lèvres ce n’est pas le problème. Pouvoir comprendre une seule personne sur cette terre et alors je serai sauvé. En fait mes seuls craintes du moment vis à vis de l’implant tournent plus autour du fait de savoir si j’y aurai droit.

 

            Août 03:

             Mes efforts physiques des deux derniers mois ne m’ont menés nul part. Le vertige ne s’est pas dégradé mais il ne s’est pas non plus amélioré... C’est donc à quatre patte ou presque que je me rend en Corse. Dangereux certes, mais à l’arrivée c’était bel et bien la chose à faire. Car  vivre deux semaines sur les pentes du camping vont amorcer une ébauche de retour à l’équilibre...sur le plat!!! Bien sûr des chutes et des égratignures il y en eut, beaucoup même, mais c’était là le mal nécessaire pour enfin aboutir à un retournement de situation.

 

            Septembre 03:

            Je rencontre le Pr Robier au CHU de Tours. Je comprend que je ne serai pas opérable dans l’immédiat, tout au moins pas avant d’être redescendu sous un certain seuil de médicaments et pas avant que mes crises oculaires ne se soient stabilisées. Car je continue environ toutes les trois semaines d’avoir de fortes crises d’uvéite. Et de toute façon mes parents déménagent le mois prochain à Agde. Alors si implant il y a ce sera pour moi à Montpellier. Quand? Je sens qu’il va encore falloir être patient... Mais tout de même pour la première fois je vois de mes yeux un implant. Le Pr Robier décide de me faire tester des contours pour voir s’il y a lieu de s’en tenir à çà ou d’envisager une implantation. Le 4 septembre je me fais prêter 2 contours numériques. Surprise! Enfin du son. Gros point positif je retrouve enfin ma voix, forte, après un peu plus de 3 mois d’absence. Bien il y a donc enfin des voix mais rien d’intelligible. J’admet que cela m’aide un peu pour lire sur les lèvres de mes interlocuteurs mais au prix d‘un effort inouï. Mes acouphènes se modifient légèrement mais restent forts. Quant au reste, quelle cacophonie dénuée de sens! Il me manque beaucoup trop de choses dans le décor sonore. Ce que j’entend ne me conviens donc pas mais je sais m’en accommoder faute de mieux.

            Dans le courant du même mois, par le biais de mon orthophoniste, je rencontre une première implantée. Sourde depuis 1976 à la suite d’une maladie aussi invraisemblable que la mienne, elle porte un implant depuis un an à peine. Mais ce que je vois d’elle me laisse plein d’espoir. Elle comprend ce qu’on lui dit, il n’y a aucun doute à avoir même si moi je ne comprend rien lorsqu’elle me répond. Une semaine plus tard elle vient chez nous prendre un apéritif. Nous sommes en tout 5 personne dans le salon. C’est trop dur pour moi de suivre une quelconque conversation alors je me mets à l’observer comme une bête curieuse. Elle n’a pas spécialement l’air de faire répéter quoi que ce soit ni même d’être dérangé par le nombre d’interlocuteurs. Je trouve çà plutôt encourageant.

 

            Octobre 03:

            Je ne m’attendais pas à çà! C’est presque par décret que je me dois de reconnaître que je n’ai plus le vertige. Par décret car en fait je me rend compte que quelque chose a changé. Il n’y a plus de vertige à proprement parler mais ce sont certains de mes médicaments qui m’y maintiennent. Bien sûr je reste instable dans la marche mais je tiens enfin debout!!! Je n’y croyais plus. J’ai enfin les moyens de bouger un peu plus, ne plus être totalement dépendant. Petite victoire mais belle victoire.

 

            Novembre 03:

            Je rencontre Nelly, ma nouvelle orthophoniste à Agde. Débutent alors 14 mois de séances de lecture labiale basées sur le jeu. Tout me parait d’un coup beaucoup plus simple. Et quoi qu’elle en dise, elle n’aime pas perdre Nelly...

            Je rencontre également une deuxième personne implantée dans un café de Nation à Paris. Il s’agit de Catherine... oui, celle du Science et Avenir de tous mes espoirs perdus à l’hôpital de Tours... Ce que j’avais vu le mois précédent me confortait dans la nécessité de me faire implanter. Ce qu’elle me montra de sa capacité à entendre dans un espace finalement assez bruyant acheva de me convaincre. Car là non plus, pas de doute elle me comprend. Et à la limite le plus pénible de cette rencontre a sans doute été pour elle car à chacune de mes questions elle a été obligée de me répondre par écrit pour que je comprenne sa réponse...

             Rendez vous est pris au CHU Gui de Chauliac à Montpellier pour un premier bilan implant. Ce sera le 2 janvier 04. Patience... patience... patience... J’en profite donc pour peaufiner mon équilibre.  Le Bd Haussmann à Paris devient le lieu de mes exercices de marche en pleine foule. C’est dur mais semaine après semaine je constate que la foule est de moins en moins un obstacle dans mes évolutions pédestres. Je bouge beaucoup en train entre Agde et Paris. En fait, au travers de ce mouvement incessant je cherche d’une manière totalement saugrenue à me débarrasser de ma surdité. Car je crois toujours que c’est à l’endroit où je me trouve... que je suis sourd. La seule solution est donc de fuir vers un endroit où je crois que je pourrais entendre...

Lorsque je suis sur Agde je vais assez souvent à la pêche. En fait pêcher n’est ici qu’un prétexte à se rééduquer. A attendre que le poisson morde je cherche à contraindre mon champ visuel à accepter le mouvement des flots de la mer.

 

 

III°/ Espérer

 

            Janvier 04:

            Bonne année... et bonne santé...? Comme prévu j’entame enfin le début de la procédure implantatoire. A vrai dire j’ai le trac avec encore et toujours cette crainte que l’implant ne soit pas pour moi pour un motif x ou y. Je rencontre pour la première fois le Pr Mondain, chirurgien ORL au CHU Gui de Chauliac de Montpellier. Le dialogue n’est pas simple, je ne comprend rien ou si peu, même lorsqu’il ralenti le débit de sa voix. Il me fait passer un audiogramme. Sans surprise j’oscille entre -80 et -100 dB selon les fréquences. Il me demande  de prévoir un réglage plus fort pour mes 2 prothèses auditives, ce que je ferai par la suite même si je sais pourtant que je suis déjà à la limite du supportable. Puis vient l’éternelle rengaine à savoir que je ne serai opérable que le jour où je redescendrai sous un certain seuil de médicaments... Soit, il y a 3 mois que mes crises d’uvéites se sont calmées mais je ne suis à l’abri de rien. Il faut redescendre sous un certain niveau de médicaments mais il faut dans le même temps prier pour que rien de nouveau ne se déclenche sinon je redeviens non opérable... En fait le jour même je suis hospitalisé pour le reste de ma maladie. Les bilans sont bons, on peut enfin commencer à baisser le niveau de la cortisone. Et en ce qui concerne l’implant je serai convoqué 3 mois plus tard pour la suite du bilan... Attendre... Encore et toujours...

            Comme convenu, je fais faire de nouveaux réglages sur mes contours. C’est pas terrible et limite même agressif même si là encore je constate un très léger mieux sur l‘intensité de mes acouphènes. Mais bon essayons. En revanche je peux désormais à l’aide d’un casque m’essayer à la télé. Comprendre est un bien grand mot mais j’ai enfin là trouvé le moyen de rendre la télé intelligente, d’en faire un instrument pour progresser en lecture labiale. C’est ainsi qu’à partir de la mi-janvier je ne manquerais plus les séances de ces messieurs de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant, j’en conviens, mais au moins on est à peu près sûr de les avoir toujours de face. Je procède de même pour C’est pas sorcier Des Chiffres et des Lettres et le journal TV.

 

            Février 04:

            Je suis enfin redescendu sous le seuil de médicaments me permettant d’être opéré... Reste à prier que rien ne se redéclenche...

 

            Mars 04:

            25 Mars le jour tant attendu et redouté depuis trois mois! Enfin je vais savoir si je rentre dans les critères d’implantation. Convoqué tôt le matin je rencontre le psy  ainsi que deux orthophonistes. On me demande d’exposer ce que je sais de l’implant. J’explique brièvement ce que j’ai pu en apprendre sur le forum CISIC au cours des 6 derniers mois. Puis on me demande ce que j’attend de l’implant.

Dans la foulée je repasse un audiogramme qui confirme que je navigue toujours entre -80 et -100 dB de pertes selon les fréquences. Puis j’ai droit à une séance avec une orthophoniste. De face, elle teste ma lecture labiale. Puis installée dans mon dos elle récite des mots que je dois deviner. Ben... j’ai pas le résultat mais il ne doit pas y avoir grand chose de juste...

Bonne nouvelle au niveau de l’équipe implant, c’est bon, je rentre dans les critères d’implantation!!! Il ne me reste plus qu’à attendre que se réunisse une Commission en Mai pour avoir le feu vert. Les budgets sans doute?

Le lendemain je rencontre à Palavas un troisième implanté dans le bureau de Katell qui deviendra dans quelques mois mon “orthophoniste implant” attitrée. Nous sommes 5 dans ce bureau. Je suis perturbé par les conversation croisées, ce qui ne semble pas être le cas de mon homologue implanté. Il a été opéré il y a deux mois à peine et j’ai beau chercher derrière son oreille, j’ai plutôt du mal à trouver trace de sa cicatrice.  

 

            2 Avril 04:

            Je passe une I.R.M des oreilles afin de vérifier que celles-ci ne présentent pas de défauts majeurs.

 

            7 juin 04:

            1 an et un jour que je suis sorti de mon hospitalisation initiale et autant de temps que l’on peut considérer que je suis candidat à un implant... Mais aujourd’hui ça y est c’est enfin sûr, je serai implanté... Il ne me reste plus qu’à attendre une date. Et oui encore et toujours attendre mais cette fois ci on arrive au bout. Pourvu que les symptômes de ma maladie ne me rattrapent pas avant l’opération... C’est tout ce que je demande pour pouvoir patienter sereinement. Mais quelle trouille çà laisse toute cette incertitude!

 

            26 juin 04:

La nouvelle tombe enfin, je serai opéré le 9 Août prochain.

 

            Juillet 04:

            Retour en Corse sur le terrain même de mes premières “cabrioles” autonomes l’an dernier. Waouh quels progrès!!! Ca n’a l’air de rien mais mettre 2 minutes pour accomplir les 300m me séparant des douches au lieu de 20 minutes en titubant 11 mois auparavant, quelle performance!!! Et puis surtout il n’est plus nécessaire d’y aller à des horaires où je puisse être certain de ne croiser personne, je peux enfin croiser des gens sans tomber. Ah çà oui, je le déguste ce bonheur simple. Je suis content d’être où je suis mais quand même une certaine peur à facettes multiples commence à me gagner l’esprit. Peur que mes symptômes me rattrapent avant l’opération bien sûr, mais aussi peur stupide de l’intervention. Certes, je vois bien au gré des témoignages de divers implantés qu’il n’y a pas mort d’homme, que c’est une simple intervention, mais voilà, c’est que je ne me suis jamais fais opérer MOI, messieurs dames!!! Mais la pire de mes trouilles est celle de me retrouver de nouveau avec le vertige à l’issue de l’intervention. Oui, ce ne serait là qu’un vertige transitoire de quelques jours mais lorsqu’on s’est battu pendant des mois pour remarcher, la seule perspective de retrouver un vertige, ne serait ce de quelques minutes, me révulse. Alors oui j’ai peur, mais pourtant je sais que rien ne me fera jamais renoncer. J’attend çà depuis trop longtemps.

 

            30 juillet 04:

            Rendez vous avec l’anesthésiste. Un simple questionnaire à remplir sur mon historique médical et mes possibles allergies suivi d’une explication de l’intervention.

 

            04 Août 04:

            Je rencontre de nouveau le Professeur Mondain pour lui faire part du fait que contrairement à ce qui a été décidé je préfère me faire implanter du coté gauche. Je suis en effet un invétéré gaucher et je préfère donc tout naturellement redonner une certaine prépondérance à la partie gauche de ma personne. Il n’y voit pas d’inconvénients.

 

IV°/ LA DELIVRANCE:

 

            8 Août 04:

            17h00: Je suis admis au service ORL de l’hôpital Gui de Chauliac de Montpellier. Dieu que c’est mort un hôpital un dimanche au mois d’Août! C’est pas la période que j’aurai préféré pour me faire opérer mais bon, ça ne se refuse pas... Je devrai être mort de trouille mais très bizarrement une douce sérénité s’empare de moi. Je n’aurai jamais cru çà possible. Plus incroyable mes acouphènes sont en train de s’endormir! Auraient ils peur de ce que je leur prépare ou bien veulent ils me faire douter du bien fonder de ma décision? Mystère. Je rencontre l’équipe de garde ce jour là. On m’annonce que l’intervention est prévue à 8h demain matin et que je devrai prendre deux douches à la bétadine. Une ce soir avant de me coucher, une demain matin au réveil.

            18h30: Repas. Pas de doute possible, je ne suis pas contrarié. Bizarre.

 

            La soirée est plus difficile pour moi. Je suis toujours aussi zen mais je sens qu’il va être dur de s’endormir. Résultat, j’effectue de nombreux aller et retour entre ma chambre et l’extérieur. La peur de ne plus pouvoir marcher demain sans doute?

 

            00h. Je suis dans mon lit et finalement, quitte à devoir dormir demain je renonce à chercher à m’endormir. Mots fléchés sur mots fléchés...

 

            9Août 04:

          Réveil à 7h. Je pense avoir dormi 2h tout au plus, enfin peut-être. Que c’est dur! Surtout qu’il faut enchaîner directement avec la seconde douche bétadine. Une fois la douche prise on me fait avaler 3 comprimés et j’attend la descente au bloc. Puis je me revois avec un masque sur le visage et après c’est le trou noir... Je me demande même si avec le cumul de ma nuit presque blanche et les médicaments avalés quelques minutes auparavant je ne me suis pas endormi avant même de respirer le premier milligramme d’anesthésiant. Mystère! L’intervention chirurgicale a duré 3 heures. Je me revois groggy sur un chariot entre le bloc opératoire et ma chambre. Au moment où l’on me dépose sur mon lit je comprend que je n’ai pas le vertige. Je suis épuisé, ça c’est sûr, mais le vertige est nul. Ouf, quel soulagement. Au vu de ce que j’ai retrouvé dans mon lit il semblerait que j’ai fait des mots fléchés avant de sombrer dans le sommeil du juste jusque vers 17h. Pourtant dans ce sommeil là je me revois “discuter” avec mon père et le Professeur Mondain. Rêve? Non c’est bien la réalité! A mon réveil premier repas depuis près de 24h. J’ai une de ces faims! Je constate que j’ai un acouphène totalement inconnu dans l’oreille opérée. Il me parait doux, même si dans la réalité je pense pouvoir affirmer qu’il est plutôt fort. En fait, ce qu’il se passe surtout c’est que je suis “content” d’avoir enfin un nouveau son dans la tête. Pensez donc, quatorze mois à n’entendre que les trois ou quatre mêmes mélodies c’est lassant à la fin. Prions pour que cette nouvelle mélodie m’en laisse présager de plus belles pour le mois prochain, mais des vraies cette fois ci!!! A 19h, j’effectue mes premiers pas dans le couloir. Cette fois c’est certain je n’ai pas le vertige. Puis on m’annonce que ma sortie est prévue pour le lendemain en début d’après-midi. Déjà? Chouette! Vers 22h j’entame ma première nuit avec mon oreille toute neuve. Pas de soucis particulier. Je dors mal c’est vrai mais cela tient plus au fait d’avoir des crampes à force de ne dormir que du coté non implanté que d’avoir mal à l’oreille gauche. Et de toutes façons le Doliprane fait son effet sur cet infime mal de crâne qui subsiste.

 

            10 Août 04:

            Réveil avec une faim de loup. Je peux déjà préparer mes bagages. Tout ce que j’ai à faire c’est attendre de passer une radio du crâne et un examen de routine pour obtenir un bon de sortie. A 14 heures je suis dehors avec une ordonnance pour 8 jours d‘antibiotiques et de Doliprane. Retour donc à la maison avec le soulagement d’avoir fait ce qu’il fallait pour préserver une de mes oreilles. Ouf, Cogan n’avalera donc pas toute mon audition quoi qu‘il décide de me faire tôt ou tard !!!

 

            20 Août 04:

            Retour à l’hôpital de Montpellier pour m’enlever les agrafes de l’oreille gauche. La cicatrice est effectivement toute petite. Sur la dizaine de jours écoulés depuis l’intervention, voici en gros ce que j’ai pu remarquer: c’est bien joli la toute nouvelle mélodie procurée par l’acouphène gauche mais euh... comment dire... Y’EN A MARRE car un acouphène ne reste jamais rien d’autre qu’un acouphène à savoir la chose la plus inutile qui soit sur cette terre! Du point de vue de mon état général je vais bien même si je me trouve assez fatigué. Concernant mon sommeil, je n’ai rien d’autre à déclarer que la persistance de mes crampes provoquées par une position trop prolongée sur le coté non implanté dans mon lit. J’ai toutefois enregistré une nette modification du goût que je n’avais pas remarqué le premier jour suivant l’intervention. Que ce soit du sucré ou du salé j’ai un peu l’impression de manger du métal. Mais bon, ce dernier point se résorbera rapidement.

 

            13 Septembre 04:

                        On y est enfin!!!  Quinze mois! Quinze mois d’une vie vécue sur une autre échelle de temps pour arriver enfin à cet instant à la fois tant attendu et redouté. Je suis au Service O.R.L de l’hôpital Gui de Chauliac de Montpellier et dans quelques minutes on va procéder au branchement de mon contour. Première rencontre avec Jean-Pierre, audiophonologiste de son état, et c’est Adrienne qui officie en tant qu’orthophoniste interprète. Je suis quelque peu angoissé, c’est normal, mais après tout je sais pour l’avoir lu à de nombreuses reprises depuis un an, que tout est possible. Si je comprend du premier coup tant mieux, mais si cela ne marche pas, rien n’est encore perdu, il me faudra persévérer. Jean-Pierre me pose le contour autour de l’oreille et le relie à sa machine infernale chargée de vérifier les différents canaux des électrodes. Première impression, c’est plus léger à porter que ce que je pensais. Et puis surtout bien plus confortable à porter que les traditionnels contours. Ne pas avoir un embout qui prend toute la place disponible du pavillon de l’oreille comme le ferait un air-bag est vraiment appréciable. Puis Jean-Pierre teste une à une les électrodes. J’entend comme un bruit d’orgue mêlé de flûte de pan pour chacune des électrodes testées. Sans rien demander je guette l’instant où je pourrai supposer avoir été branché. Peut-être le suis-je déjà? De toutes façons j’en doute puisque Jean-Pierre semble encore faire joujou avec sa machine. Puis soudain, à la manière dont Jean-Pierre me regarde, je comprend qu’il va procéder au branchement. Les yeux rivés sur ses lèvres une voix surgit alors de nulle part: EST-CE QUE VOUS M’ENTENDEZ?”. “Oui je vous entend” répondis-je. Presque aussitôt j’entend une autre voix qui provient de ma gauche. “ET MOI EST-CE QUE VOUS M’ENTENDEZ?”. Oui je vous entend aussi. Autant pour Jean-Pierre qui était face à moi on peut affirmer que je lisais sur ses lèvres, autant pour Adrienne je ne crois pas que ce fut le cas!!! Première surprise ça marche donc!!! Deuxième surprise, la qualité des voix entendues. Tout cela est étrange, j’ai bien entendu distinctement , il n’y a pas de doute là dessus, mais par contre je n’imaginais pas une seconde (même si je l’avais pourtant lu) que mes semblables humains puissent avoir une voix métallique de “canard parlant sous l’eau”!!! Troisième surprise, ma propre voix et c’est là à vrai dire ma seule inquiétude du moment. Je l’entend, mais elle me parait loin, loin, loin comparée à celle que j’entend avec mes contours habituels. Mais qu’importe, on me fait vite comprendre que ce n’est là qu’un premier réglage et que cela s’arrangera par la suite. En quittant le bureau de Jean-Pierre, je suis pour la première fois confronté à des bruits de l’extérieur. Je reconnais les bruits de la circulation c’est à dire les voitures et le tramway qui jouxte l’hôpital. Quelques oiseaux piaillent. Mais à vrai dire je suis ailleurs, quelque part au fond de moi même à me retourner sur quinze mois d’horreur, à déguster cet instant rêvé où pour la première fois il m’est permis de faire un légitime bras d’honneur au syndrome de Cogan.