"Je suis né "normal" mais avec de sérieuses difficultés à l'accouchement ce qui a fragilisé les oreilles"

Retrospective

alexandre.jpgJe m’appelle Alexandre, j'ai 26 ans.
Je suis né "normal" mais avec de sérieuses difficultés à l'accouchement ce qui a fragilisé les oreilles. Celles-ci on rapidement lâché à l'apparition des otites chroniques, etc. En bref, j'ai été appareillé à l'âge de 2 ans et 1/2, après un débat entre l'orthophoniste du centre Bon Sauveur à Albi, Mme Fages, et mes parents sur la voie à suivre: "oraliste" ou "LSF"? Les tests et la volonté de tous m'ont orienté vers la voie oraliste.
Au début j'entendais plutôt bien avec les ACA, mais la perte d'audition était bel et bien programmée... Un suivi intensif, des "cours" de lecture labiale et de reconnaissance sonore hebdomadaires dispensée par Mme Fages très exigeante m'ont permis d'acquérir un bagage de communication orale plus que satisfaisant:
je suivrai mes études dans des établissements publics et privés normaux sans aide particulière sinon les encouragements de mes parents. Mes diplômes ont tous été obtenus sans difficulté, à savoir le bac S, un BTS génie mécanique et une maîtrise en création industrielle.

Vers 8 ans je ne peux plus utiliser le téléphone. A 11 ans l'oreille droite
"lâche": les sons ne sont plus reconnaissables (sortes de cris d'oiseaux). Je continue sur la gauche qui faiblit.
A 15 ans les audiogrammes révèlent que la droite est en meilleure forme que la gauche, réappareillage.
Depuis la fin de l'adolescence le niveau semble s'être stabilisé autour de -95dB, mais le spectre se rétrécit surtout au niveau des aigus.
A 18 ans je me retrouve livré à moi-même: je poursuis mes études "seul", j'habite dans un studio. Pour pouvoir être admis en BTS je dois rattraper tout le programme de mécanique dont je n'avais pas bénéficié en "S générale". Parce que le travail sera léger, cette année sera très importante : elle me permettra de mieux me connaître et d'incorporer ma surdité positivement dans ma notion d'existence, de conscience de moi-même. C'est également pour cette raison que je mettrai autant de temps pour franchir la porte d'un service d'implantation.

Seulement, voilà plus d'un an que je suis diplômé d'une bonne école, que je suis prêt pour le monde actif et je n'ai toujours pas trouvé de vrai travail. Les quelques missions à droite et à gauche m'ont montré les vraies difficultés de ne pas pouvoir téléphoner, surtout dans la profession de créateur industriel.
De plus la prospection de clients nécessitent l'usage du téléphone sous peine de dépenser beaucoup d'énergie pour compenser.
 

Avant l’opération

Ma compagne, mi-allemande, mi-anglaise, me pousse à m'informer sur les implants, pour lesquels j'ai beaucoup d'appréhension et de préjugés. Je recontacte Mme Fages qui me renvoie sur le site du CISIC. Je lis, d’abord sceptique, les nombreuses informations contenues dans le site, puis finis par me convaincre de me rendre à la permanence de l’hôpital Saint Antoine. Sans le savoir, j’avais déjà mis le doigt dans l’engrenage, en rencontrant Dominique Bauveau.

Je reprends conscience de ma surdité et je m'aperçois que mes oreilles se sont encore plus enfoncées... le dernier audiogramme à St Antoine donnait autour des -100, -110dB... Je comprends mieux mon malaise de ces derniers temps et mon asociabilité grandissante ; j’ai de plus en plus de mal à aller vers les gens que je ne connais pas pour discuter ou tout simplement obtenir une information.

Après les formalités : IRM, scanner, audiogramme, entretien – oh combien rassurant – avec Claude Fugain, puis avec le Professeur Meyer, mon opération est programmée pour le 23 Novembre. Il se sera écoulé moins de 3 mois entre le moment où j'ai poussé la porte du service du Pr Meyer et la date de l'opération!...

L’attente de l’opération est longue, j’essaie d’y penser le moins possible.
Pendant ce temps là, ma carrière professionnelle se met en place…
 

Après l’opération

D'après le Pr Meyer mon opération (mardi) s'est très très bien passée! Le réveil a été très chiant, j'ai dû attendre une dizaine d'heures très longues avant de pouvoir me concentrer correctement. La douleur était plus que supportable, grâce à la perfusion. La perfusion m'a été enlevée le lendemain et j'ai fini mon séjour à l'efferalgant ordinaire. Entré lundi, je suis sorti de l’hôpital dimanche en forme, le soir j’ai cuisiné.

Pas de nausée, ni vertige. Pas de douleurs à l'intérieur de la tête, seule la cicatrice "tire". Je pense que le principal inconvénient est la longueur de la cicatrice (pour la douleur). J’ai des acouphènes supportables côté implanté.
Ils diminuent dès le 3ème jour. Mercredi a été une journée presque normale, je peux me lever pour pisser et manger!!! Les journées de suite itou. Les nuits ont été difficiles, le corps ne faisant pas assez d'exercice, il a besoin de remuer mais la cicatrice sur tête ne peux pas le permettre. Je me suis remis à rêver vendredi. Je dis ça parce que j'adore rêver!!! :-)
 

Les débuts avec l’implant

J+8
A la première simulation, je perçois 21 des 22 électrodes du Nucleus. La simulation ne m'a pas convaincue... C'est un peu n'importe quoi mais du moins le potentiel est là. Le bruit perçu est très difficile à exprimer avec des mots ; ce sont surtout des sifflements, des aigus qui résonnent.

J+9
Aujourd'hui, après le premier vrai réglage, je suis revenu à la maison avec le contour, et la première chose que j'ai faite a été d'écouter mes morceaux de musique préférés... C'est extraordinaire! Non pas que j'entende ce que j'aimerais entendre mais que presque tout est là.

J'ai BU, bu, bu du son frais et abondant comme à la source, même si sa saveur était encore étrange; j'en suis devenu ivre de joie, c'était un moment intense!... J'en ai eu les larmes aux yeux...
Et pourtant les graves sont étouffées par des aigus lutins, qui, probablement engourdis par tant d'années dans l'ombre, se mettent à sautiller dans tous les sens! Je ne distingue pas encore bien les sons mais je les "sens", je sais qu'un jour ils viendront à moi disciplinés.

Tout cela pour dire que c'est un énorme soulagement de savoir que c'est en place, que je suis prêt et bien équipé pour prendre le chemin vers la compréhension du monde des sons, peu importe le temps que cela prendra!

J+11
Je tente de mettre l’implant au cinéma, conscient que c’est insupportable pour la majorité des nouveaux implantés. Je ne peux que confirmer : impossible de ne pas former une grimace de douleur, tant le volume est fort. La rue aussi est insupportable, la moindre voiture qui passe est terrible.

La semaine qui suivra sera décisive : ce sont les premières sessions avec le docteur Claude Fugain. Le premier jour, j’ignorais que j’étais à même de comprendre des mots sans lecture labiale. Nous avons même pu pousser aux phrases de la vie courante. A la fin de la semaine, Claude a essayé de me lire le journal mais c’était encore difficile.

La vie avec l’implant

Deux semaines après l’opération je commence mon premier travail. Bien que je doive toujours utiliser la lecture labiale, je fatigue beaucoup moins lors des réunions et ne rate pas les informations importantes, ainsi que les malentendus. C'est déjà beaucoup.

Je comprends ma compagne sans lire sur ses lèvres, elle est très heureuse.

A Noël, j’ai pu téléphoner à ma famille, l’idéal que je m’imaginais avant l’opération, un mois plus tôt ! C’est émouvant de se rendre compte que la technologie est capable de réaliser des souhaits aussi simples et aussi forts que celui-ci.

Je commence à pouvoir supporter les bruits forts de la rue, mention spéciale cependant pour les sirènes de police et les klaxons, vraiment agressifs.

Aujourd’hui, 3 mois après l’opération, je souhaite préciser que la musique a joué et joue un rôle très important dans ma rééducation personnelle. Dans la musique, surtout la musique contemporaine, la rythmique fournit une trame répétitive qui me laisse le temps de m'habituer à chaque "fréquence". Les instruments complexes comme les vents et surtout la voix n'ont pas été clairs au début. Je suis naturellement "revenu" en premier sur la musique que j'écoutais avant de me faire opérer, et j'ai pu, par association "de mémoire", "recalibrer" mon oreille sur ce qu'elle percevait, sans frustration car la musique a toujours été belle pour moi.

Je cite dans l'ordre d'"apparition", en ce qui me concerne:
- Caisse claire
- De façon générale, percussions, bien que leurs notes soient indifférentiables
- Piano, Guitare
- Basse
- Cimbales
- Vents, en particulier la trompette, qu'on ne peut pas confondre par son attaque si particulière.
- Enfin, la voix, surtout de plusieurs chanteurs (Sinead O'Connor, par ex, me posait problème, elle "bipait" sur certaines hauteurs de voix, à cause de son spectre très large).

De fait, en raison de la structure de la musique moderne, qui appuie la rythmique sur les bords du spectre auditif (basses et aigus), j'ai "progressé par les bords", pour en venir aux les voix, qui ont la signature la plus complexe.

Je téléphone désormais avec tous mes amis, ma famille ; il m’arrive régulièrement de passer une bonne heure au téléphone avec ma grand mère qui est atteinte de dégénérescence maculaire. Il m’arrive de décrocher chez les autres.
Il y a quelque chose de formidable en cela : il suffit que vous téléphonez à quelqu’un et il est joyeux de vous avoir au bout du fil !
Je commence à saisir les paroles des chansons, comme Boby Lapointe (évidemment, quand il n’est pas lancé dans un rythme endiablé), Carla Bruni…

Mon travail se passe bien, j’ai signé mon CDI il y a deux semaines. Je n’ai pas de difficulté à travailler en groupe. Je comprends très bien mon collègue principal qui a un accent vietnamien très fort. Je n’hésiterai pas à répondre téléphone si cela se présente. Je dois apprendre à ne plus présumer, un processus qui me servait à anticiper les conversations et qui est pénible pour les autres, voire très inapproprié dans le milieu professionnel.

Les sons ne viennent pas encore tous seuls, il faut que je les analyse consciemment sinon ils « m’échappent » mais certains commencent à « percer ».
La progression est plus lente qu’au début. Je dois me fixer de nouveaux objectifs. La télévision par exemple m’est toujours incompréhensible mais il est fort possible que je n’aie pas envie de la comprendre !

Je peux par contre engager une conversation au volant de ma voiture, une 4L dont j’adore le bruit, ou plutôt les bruits (grincement, mélodie grave et irrégulière du moteur, claquement des jeux…).

Je me suis habitué à la consommation de piles, importante mais négligeable en regard du bénéfice ! Si le côté bionique de la chose est un peu perturbant avant l’opération, il est intrigant, puis fascinant juste après, pour finir à être complètement intégré à soi-même au bout de deux mois. L’implant est même plus naturel que l’appareil, car il n’a pas l’embout.

J’espère que certains qui hésitent encore auront trouvé quelques réponses à leurs interrogations. Il y a beaucoup de joie dans cette aventure. Je souhaite finir par un grand grand merci à tous ceux qui m’ont soutenu, qui m’ont offert leur générosité.

Alexandre

Implanté le 23 Novembre 2004 à Saint Antoine Nucleus Esprit 3G